Friday, July 11, 2008

















Chicago d'Ala' Al-Aswany


L’outsider de la littérature romanesque arabe (qui ne semble pas être quand même un véritable étranger à l’écriture, lui le fils d’un doyen de la Faculté des Lettres et qui rêvait de manier la plume depuis l’âge de 11 ans…) frappe de nouveau. Après L’Immeuble Yacoubian, tout semble indiquer que Chicago d’Ala’ Aswani (Editions Dar Al Chourouq, Le Caire, 2007) et qui en était déjà à sa quatrième édition, deux mois seulement après sa parution, sera aussi une réussite éditoriale. Ce dentiste de profession semble pourtant faire ombrage aux romanciers patentés du bord du Nil. D’abord, il donne au roman égyptien et arabe une valeur marchande et une audience (à quelques exceptions sporadiques près) dans le monde arabe (250 mille exemplaires pour L’Immeuble Yacoubian), la diaspora arabophone et même en France (la traduction de son premier roman adapté au cinéma avec le même franc succès, a déjà vendu 180 mille exemplaires) et en Italie (80 mille exemplaires). Succès que les romans arabes n’ont jamais eu, y compris avec le lauréat du prix Nobel, le grand Neguib Mahfouz que le père d’Aswany donnait comme contre-exemple à son fils pour le dissuader de faire de la littérature un métier ! Mais il relance au passage l’éternel débat autour de l’écriture : faut-il faire complexe pour faire profond ? Aswani prône le direct, le simple et le revendique, proclamant sans complexe son manque d’intérêt pour la lecture de James Joyce et critiquant au passage l’école « expérimentale » française (entendez le « nouveau roman », bien sûr). Sur ce registre il a tellement affûté ses arguments qu’il considère que celui (un romancier rival à tirage limité probablement) qui taxe son écriture de « superficielle » commettrait un affront à l’encontre des lecteurs qui ne font qu’en redemander… Quoiqu’il en soit, ça marche et ça peut amener une nouveau lectorat pour le roman arabe.

Cette fois-ci, avec Chicago, nous sommes aux Etats-Unis, dans la capitale de l’Illinois, à l’intérieur d’un véritable microcosme, le département d’histologie (science des tissus !) de l’université… L’incipit, un moment déroutant puisqu’il s’étend sur une historiographie en bonne et due forme de la ville cède vite la place à l’apparition de protagonistes plus familiers. C’est loin de la terre natale, mais ça permet, à l’instar de l’immeuble cairote du roman précédent, d’« expatrier » un nombre suffisant d’archétypes de la société égyptienne contemporaine, et ceci dans la personne d’étudiants boursiers ou de professeurs chercheurs déjà établis en exil. Et pour couronner le tout, ce petit monde recevra la visite du Rais égyptien en personne, lors d’une tournée aux Etats-Unis : c’est donc Chicago comme si vous étiez au… Caire. Avec bien sûr, en plus, la possibilité pour un étudiant militant islamiste de tomber amoureux d’une jeune juive américaine et d’en tirer, sous forme de dissertation politique abusive dans un roman, toutes les conséquences qu’il faut sur la nature politique et non religieuse du combat arabe contre Israël… ou aussi la possibilité de mettre en scène les fameux couples mixtes (deux professeurs d’université d’origine égyptienne mariés avec des américaines et affrontant chacun à sa manière tous les problèmes d’intégration qui en découlent), voire d’aborder une relation purement « américaine » jugée plutôt prétentieuse par la critique, à savoir la cohabitation entre un professeur d’université sur le déclin, blanc et « droitdelhommiste », et une noire plutôt jeune, et le misunderstanding persistant dans ce genre de rapports d’une autre mixité… Pour le reste, la « sociologie » égyptienne est bien représentée avec les opportunistes proches du pouvoir, la jeune femme sans recours face à ses besoins sexuels, le jeune rebelle ou le copte exile mais toujours égyptien dans le cœur… le tout évoluant entre le triangle oriental de la religion, du pouvoir autocratique et du sexe (avec une tirade instructive et peu justifiée sur l’orgasme féminin et l’usage du vibromasseur dans l’accès à la liberté individuelle dans la recherche du plaisir..).

Le récit se déroule suivant une structure feuilletonesque codée à l’ancienne, surtout que le roman est paru d’abord en épisodes dans l’hebdomadaire égyptien Al Destour. Dans une langue très accessible comme à son ordinaire, un style plutôt blanc, sans fioritures, Chicago aborde, en alternance de chapitres, les destins (parfois mais pas toujours) croisés, entrecoupés ça et là de digressions et de monologues intérieurs, interminables parce que trop prévisibles et épicés de quelques scènes dont l’audace intimiste fera sans aucun doute beaucoup parler du roman. Cette histoire de six ou sept couples, maries ou non, court vite vers des conclusions pessimistes. Tout s’écroule dans le monde imagine par Ala’ Al Aswani : une cascade de ruptures, de divorces ou de morts clôt le roman. L’intégration est un échec patent sur tous les registres, le mariage des cultures est une fiction cauchemardesque (la scène ou le chercheur égyptien marié a une américaine s’isole dans sa chambre privée pour s’habiller à la manière de son bled du Nil est d’un pathétique rare qui rappelle, à l’opposé, la chambre où le héros de Saison d’émigration vers le Nord du soudanais Tayyeb Saleh cachait dans son village natal les vestiges de son séjour londonien). L’auteur semble vouloir quand même quitter son lecteur sur une petite note « positive » lorsque aux toutes dernières lignes du roman, l’étudiant égyptien qui a engrossé (sans trop le vouloir) sa collègue et compatriote aux abois, se pointe dans la clinique où elle s’est fait avorter, peut être pour une promesse de mariage légal qui sauverait la jeune femme de l’enfer de sa conscience religieuse.

Bref, avec tous les ingrédients qu’il faut, Chicago est un roman si bien rafistolé qu’il ressemble a un soap opera à forte prétention sociopolitique, aux allures de best seller. Pourtant, un deuxième roman ne ressemble jamais au premier, ou s’il lui ressemble il use vite le procédé.

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