Sunday, July 6, 2008

















Bint Jbeil Michigan d’Ahmed Beydoun


La récente réédition par Dar AnNahar du petit récit de voyage, Bint Jbeil Michigan d’Ahmed Beydoun (paru en 1989), coïncide avec un nouvel épisode (rien moins que la dernière guerre qui s’est sauvagement abattue sur la capitale du Djebel ‘ Amil et dont un tout récent témoignage de presse dit : « Il faut faire un effort devant les amoncellements de pierres et de gravats pour tenter de se rappeler ce qu’était Bint Jbeil, il y a deux mois », L’Orient-Le jour, mardi 29 août) qui vient confirmer encore une fois s’il en était besoin la réflexion amère qui clôt le chapitre final, celui du retour, « Aéroport 2 » : “Je me suis rappelle ma peur (…) le jour ou j’ai lu que des villages avaient disparu de la carte pendant la première guerre mondiale pour cause de famine et d’émigration. Le nombre d’habitants n’avait pas diminue de mille a cent mais c’est le village entier qui a cesse d’exister. Durant la guerre actuelle (celle de l’invasion israélienne de 1982 et ses suites), des villages et des quartiers urbains ont été détruits, mais cette peur est timorée par l’espoir que portent leurs habitants de les faire renaître… le souvenir de cette peur m’est revenu parce que Bint Jbeil-Liban se réduit vite alors que le Bint Jbeil-Michigan prospère aussi vite ».

L’historien universitaire libanais rentrait d’une (deuxième) visite a la petite « diaspora » de sa ville natale qui s’était regroupée, au fil des ans, dans la ville américaine de Deerborne ou elle y a ses lieux de réunion et de prière, son circuit social et culturel et même son cimetière. Le phénomène n’a rien de particulier, les emigres libanais (après les Italiens, les Grecs et toutes les nations d’Asie du Sud Est) se cooptent depuis toujours dans leur exil et reconstituent outre Atlantique (ou même aux confins de l’Océanie) des milieux presque homogènes, des quartiers – rues surtout, zones closes ou même certains n’ont pas besoin d’apprendre la langue du pays d’accueil pour survivre. Mais l’approche de Beydoun est fraîche, originale, tout juste un innocent carnet de route, un petit journal (78 pages) ou défile une galerie de portraits, des expatries hommes et femmes nostalgiques de leur terre natale ou engages dans les valeurs du « nouveau monde » (Abou Rachid l’abadaye haut en couleurs, L’agha fier d’avoir reçu une lettre de Ronald Reagan pour son 105eme anniversaire, la sœur « américanisée »…), une relation du quotidien américain des ces sudistes (les femmes et le «window shopping », les hommes embarques dans le rythme du travail et ceux qui s’ingénient a l’éviter, le nouveau rituel de la mort…. ) ainsi que quelques moments forts de ce séjour (surtout l’inoubliable « conférence » donnée par l’auteur devant des compatriotes qui faute d’en comprendre les nuances de contenu furent quand même berces dans une sorte de tarab par cette maîtrise devenue rare pour eux de leur langue d’origine, ou une soirée de noces, mélange de petites traditions et de comportements « acquis »…).

L’historien anthropologue semble ainsi se « divertir » dans un « genre mineur » ou les observations, les anecdotes et les petites intimités familiales lui fournissent quand même matière à une réflexion plus profonde. Beydoun ne peut s’empêcher, au détour d’une phrase, de se rappeler Claude Levi-Strauss (celui peut être des Tristes Tropiques dans la même collection « Terres Humaines » chez Plon ou parut aussi, et dans le même genre Immigres de l’autre Amérique du P. Selim Abou). Mais les considérations générales cèdent la place aux menus détails, aux anecdotes colorées pour soulever quand même l’essentiel des problèmes qu’affrontent ces libanais du Sud au pays de l’oncle Sam. A commencer par l’incontournable question de l’intégration vécue comme un déchirement (« L’Amérique nous prend nos enfants, dit la cousine, notre pays nous chasse et nous vendons nos enfants à l’Amérique contre une maison, une voiture et un salaire.. ») puis celle de l’identité religieuse mal gérée par les « institutions » islamiques concurrentes qui a force de rigorisme éloignent la nouvelle génération de la pratique religieuse (les choses ont du quand même changer depuis avec la « montée des intégrismes» au tournant du siècle). Une phrase qui revient souvent dans les conversations, « N’oubliez pas que nous sommes en Amérique » illustre la lente émergence d’une forme de citoyenneté américaine ou peut s’affirmer dans la conscience de ces villageois du Sud Liban l’égalité entre les sexes, la justice sociale ou le règne de la loi…

Le tableau est presque complet en peu de pages. La lecture est délicieuse mais l’épilogue un peu inattendu de cette relation de voyage n’en renoue pas moins avec le destin tragique de Bint Jbeil : Se penchant dans le hall de l’aéroport pour ramasser deux revues qui venaient de tomber de son chariot a bagages, le voyageur rentrant au pays « sentit que beaucoup de larmes s’étaient amassées dans ma tête le long de la journée et qu’elles étaient maintenant prêtes a couler a flot ». Bint Jbeil Michigan : A relire donc avec l’anachronie qui s’impose et a déguster d’un trait en arborant sur le visage la « taqsama » ou ce rictus de plaisir retenu qui rappelle a l’émigre de Bint Jbeil « le visage de sa jeunesse et de son corps ».

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