Monday, July 7, 2008

















Des personnages au pessimisme sans appel


Sous un titre (dont la traduction manque décidément de grâce, Non ce pays n’est pas pour le vieil homme, Editions de l’Olivier, Paris, 2006, 295 pages) emprunté au premier vers du poème intitulé Sailing to Byzantium de William Butler Yeats, d’ailleurs ainsi bizarrement francisé par Yves Bonnefoy, Cormac McCarthy nous livre un dernier roman incisif distillant a toutes les reparties de ses personnages un pessimisme sans appel. Le lecteur de Cormac McCarthy se trouvera d’abord dérouté face a un style quasi désincarné, une économie surprenante de moyens chez l’auteur de «L’obscurité du dehors» capable, au fil de longues pages, de ressusciter le bruissement du monde avec une délectation descriptive et poétique qui dessine patiemment les contours sensibles et l’espace matériel du récit. Nous voila donc devant une histoire racontée dans une linéarité chronologique et une dualité simple basée sur l’alternance entre le monologue (du sheriff Bell incarnant la tradition surtout que nous sommes dans un « western » contemporain au sens complet du terme) et le récit (des traques et des assassinats commis toujours dans le pénombre), ainsi que devant une alternance d’épisodes reliant avec maestria les développements d’une sombre histoire d’argent et de bandes de trafiquants. Le lecteur averti comprendra vite qu’il est entrain de lire une manière de scénario filmique romancé. McCarthy écrit ainsi sur commande et la sortie du film est déjà annoncée pour Septembre 2007 dans une réalisation des frères Coen…

La seule différence c’est que les choses vont ici directement à l’essentiel : le Mal règne en maître absolu, et l’on comprend des les premières pages que la moindre « erreur » est fatale. C’est ce qu’a découvert a ses dépens le texan Llewellyn Moss, vétéran de la guerre du Vietnam qui tombe, au hasard d’une sortie de chasse à l’antilope dans les collines désertes du Rio Grande, sur une tuerie, des voitures calcinées, et une sacoche contenant deux millions de dollars… Au lieu de se tirer avec l’argent et disparaître, Moss revient après quelques heures porter de l’eau a un blesse qu’il n’a pu aider. Il scelle ainsi son sort : fuir devant les trafiquants mexicains et surtout devant un tueur psychopathe. Mais on aura très tôt compris que cette chasse à l’homme ne finira pas par un passage réussi de la frontière mexicaine avec le magot sous le siège de la voiture et une jolie compagne en cerise sur le gâteau… C’est que « Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme » est le roman de l’assassin : Anton Chigurh ou le triomphe du diable en bottes de cuir qui ne rate pas une seule de ses cibles, et tue pour « tenir parole », comme il l’annonce a la jeune et innocente épouse de Moss avant de l’exécuter.

Tardivement reconnu (avec le National Book Award en 1992), Cormac MacCarthy traverse, comme on le dit souvent, la littérature américaine en solitaire. Il choisit ses héros dans une race de desperados « cavalant toujours vers l’enfer », et nous sert, a travers un récit jonché de cadavres entre chambres de motels et nuits sans sommeil, une parabole désespérante sur l’Amérique d’aujourd’hui et de demain, quitte a pousser ses personnages et l’action toute entière aux limites de la vraisemblance. Le « pays » de MacCarthy est un monde en perdition condamné pour une imprécise faute originelle et privé de rédemption. Le lecteur a pourtant droit, quelque part en contrepoint, a un épilogue ou un « homme de bien », le même shérif Bell qui met a distance les événements, fait le rêve d’être guidé par son père dans la pale lumière de la nuit qui tombe sur la neige, a travers les montagnes. Un espoir aussi vacillant que « la flamme dans une corne » comme les gens d’autrefois avaient coutume de la porter.

No comments: